Mise à jour

Le temps a passé depuis notre pétition de 2009. Revenons un instant au Luxembourg voir ce qu’est devenu le Clearstream de la musique libre deux ans plus tard.

Après avoir été lâché par le fond d’investissement Mangrove, Jamendo a connu quelques restructurations : licenciements, éviction de Laurent Kratz, et prise de participation d’un nouvel acteur. Laissons Pierre Gérard, cofondateur de Jamendo, nous faire les présentations :

Pour ceux qui ont loupé l’info, c’est maintenant officiel: les investisseurs et fondateurs de Jamendo ont finalisé un deal avec la société MusicMatic SA, vous pouvez lire le communiqué sur le blog jamendo
MusicMatic est spécialisé dans la fourniture de contenu audio et video dans les points de ventes et était un client de Jamendo qui lui fournissait déjà du contenu musical “non SACEM”. Jamendo peut ainsi développer son offre commerciale pour les points de vente mais aussi continuer à proposer la vente de licences pour la synchronisation musicale de programmes audiovisuels via le shop en ligne ou d’autres distributeurs.
Pour nous ça change quoi ? Notre équipe est bien entendu plus réduite (une dizaine de personnes à Luxembourg), nous avons des bureaux à Paris (où MusicMatic est présent), nous n’avons plus de fond d’investissement comme actionnaire (MusicMatic a acheté les actions de Mangrove). L’objectif principal pour nous est bien sûr le développement commercial, notre ambition est de mettre en place de meilleurs canaux commerciaux et aussi des flux musicaux d’encore meilleure qualité.

Mais qui est le nouveau propriétaire de Jamendo ? MusicMatic, pour faire simple, est donc une entreprise qui sonorise des commerces sans aucune référence à la musique libre ni aux licences ouvertes. Mais d’où proviennent donc les musiques utilisées par MusicMatic ? En partie de « Jamendo Pro », probablement, dont MusicMatic était déjà « client » avant de racheter Jamendo. Il est intéressant de voir la chaîne industrielle ainsi créée :

  1. Le producteur de matière première sonore est l’artiste amateur un peu benêt qui dépose sa musique sur Jamendo, croyant naïvement qu’il s’adresse ainsi à la « plateforme n°1 de musique libre » et que sa musique sera diffusée sous licence ouverte (la plus communément choisie est la licence Creative Commons BY-NC-SA qui interdit les utilisations commerciales et oblige les oeuvres dérivées à être diffusées selon les mêmes termes). En fait, la quantité pléthorique de musique déposée gratuitement sur Jamendo, et téléchargeable gratuitement par les internautes, sert à alimenter le buzz autour de la plateforme, et donc à asseoir sa position pour qu’elle puisse mieux vendre sa marchandise à ses clients. Quelle est cette marchandise ? C’est tout simplement une partie de la musique fournie gratuitement par les artistes gogos (qui toucheront des clopinettes si leur musique a l’immense honneur d’être vendue à tel ou tel marchand de moquette).
  2. Jamendo fait miroiter le succès et une possibilité de rémunération auprès des artistes pigeonnés en les incitant à s’inscrire à des programmes optionnels ou surtout à « Jamendo Pro » (peu de chances que les artistes lisent et comprennent vraiment les clauses léonines des CGU et autres contrats en ligne). Ces artistes, presque tous amateurs, sont souvent avides de reconnaissance, et peu au fait des pratiques et tarifs en usage dans l’industrie musicale traditionnelle. La possibilité d’être sélectionnés par les clients de « Jamendo Pro » peut leur paraître flatteuse et la promesse d’une rémunération, même symbolique, peut leur donner l’impression d’intégrer en quelque sorte le circuit professionnel. Même de vrais militants des licences ouvertes s’y laissent parfois prendre, croyant que « Jamendo Pro » leur permettra d’arrondir les fins de mois tout en restant dans le champ de la libre diffusion.
  3. Une fois présente sur « Jamendo Pro », la musique est mise sous une licence commerciale maison à disposition des « clients » dont MusicMatic (qui, désormais propriétaire, peut se servir directement à la source). Les clauses NC et SA n’ont plus à être respectées, ni même la clause BY. Les programmes de sonorisation vendus par MusicMatic ne font plus aucune référence à la musique libre ni aux licences ouvertes. Les artistes arnaqués ne savent pas quel usage est fait de leur musique, revendue à des tarifs évidemment inférieurs à ceux de la SACEM (c’est même l’argument de vente). Le client n’a même pas obligation de mentionner l’auteur de la musique utilisée : l’artiste rêvant de faire ainsi connaître son oeuvre n’aura donc pondu que de la musique au mètre anonyme en échange de quelques centimes, se mettant ainsi en concurrence déloyale avec les vrais professionnels de la musique d’ambiance, dont les prix seront inévitablement ramenés à la baisse.

Selon Le Journal du Net :

MusicMatic,  la société Belge spécialisée dans la création et la diffusion d’univers sonores personnalisés pour les réseaux de distribution et de franchises, vient de lever 1.8 millions d’euros supplémentaires auprès d’OTC Asset Management. Ce fond d’investissement, qui est également le fond historique de MusicMatic, semble donc croire au potentiel de la société depuis sa création en 2005. Rappelons que MusicMattic avait racheté la plateforme de musique libre Jamendo en mars 2010 et est également propriétaire de Radionomy, une plateforme de web radio. Le total du montant investi dans MusicMatic se porte désormais à 7,5 millions d’euros.

Dans un communiqué, le CEO de la société, Alexandre Saboundjian, explique que cette nouvelle levée de fonds permettra d’accélérer la croissance de ses deux filiales qui « ont besoin de financement pour réussir leur implantation en France, Espagne et Allemagne : Radionomy dans la diffusion de spot audio sur le web, et Jamendo dans la gestion et la commercialisation des droits des artistes.  »

La mission de Jamendo, d’après Alexandre Saboudjian, « c’est faire l’acte de commercialisation », et gérer ensuite les droits générés par cette commercialisation. Jamendo, simple filiale et sous-traitant de MusicMatic, joue donc sur la confusion des genres. Auprès des artistes, la société luxembourgeoise assume tantôt le rôle de label, d’éditeur, de manager, de diffuseur, et même de percepteur des droits d’utilisation (en concurrence directe avec la SACEM, donc), mais sans jamais miser un kopeck sur les artistes eux-mêmes, et sans jamais assumer aucune des charges ni des obligations ou contraintes de ces acteurs traditionnels de l’industrie musicale. La SACEM, tant critiquée dans le monde de la musique libre, remplit dans une certaine mesure une mission de service public définie par l’Etat et son assemblée générale est constituée d’auteurs, de compositeurs et d’éditeurs. Jamendo et MusicMatic, en revanche, n’ont de compte à rendre qu’à leurs actionnaires, tels le fond d’investissement OTC Asset Management.

Si Jamendo se fait passer auprès des artistes pour un militant dévoué de la libre diffusion et un substitut efficace à la SACEM et aux professionnels de l’industrie musicale, il en va tout autrement auprès des clients, à qui Jamendo affirme fièrement vendre de la « musique libre de droits ». Quid de la musique libre, grâce à laquelle Jamendo a développé sa notoriété ? Nada. D’ailleurs, la confusion entre « musique libre » et « musique libre de droits », que nous avions déjà soulignée il y a deux ans, continue délibérément d’être entretenue sur les bannières promotionnelles de Jamendo Pro, comme commencent à s’en rendre compte avec retard certains supporters de Jamendo. Même un ancien modérateur bénévole du forum de Jamendo appelle désormais sur son blog ses congénères à déserter « Jamendo Pro ». Et c’est toujours avec autant de morgue et de cynisme que Jamendo répond à son troupeau :

« La bannière restera telle quelle. Dans une démarche commerciale, c’est un argument pour accrocher des clients. »

Le dénommé « jammartin » qui s’abaisse ici à répondre dans le style concis à la mode dans les écoles de commerce prouve s’il en était besoin toute la considération qu’il a pour les artistes comme pour les clients. On tient là un beau specimen de capitaliste décomplexé. Sylvain Zimmer, lui, ne daigne plus depuis longtemps honorer l’indigent forum de Jamendo de sa présence.

Pour conclure sur une note encore plus comique, souvenons-nous de « l’argument » que Jamendo avait utilisé naguère pour « accrocher » les internautes : il s’agissait de proposer des « Récompenses graduées » aux téléchargeurs afin de lutter contre les « Ripostes graduées » mises en place avec Hadopi. Jamendo, décidément n°1 de la musique libre, se plaçait ainsi du côté des libre-téléchargeurs. A présent, Jamendo demande à être labellisé auprès d’Hadopi. Amusant, non ?

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5 réponses à “Mise à jour”

  1. chefgeorges dit :

    La messe est dite :)
    Je me souviens quand j’ai découvert Jamendo-Bleu et qu’il y avait à peine 2000 albums. J’étais très enthousiaste ! Ce que je découvrais été innovant, différent, presque utopique. Ça correspondait à ce que je recherchais. Puis on est passé à Jamendo-Mandarine et JamendoPRO. Au début je voulais encore y croire, croire à une certaine éthique de Jam’. Et puis les bénévoles ont été remercié, et tout à commencer à se détériorer. Pendant longtemps, je voulais continuer de croire qu’on serait à la longue écouté.
    Mais le rachat pare MusicMatic, suivit du départ d’Amélie (presque la dernière d’une époque) a eu raison de mes illusions…
    Quel gâchis ! Le récent communiqué de presse de MusicMatic, cité plus haut mentionne aussi, je cite « Les deux, Jamendo et Radionomy, bénéficient de l’attention et de l’intérêt du marché. C’est grâce à ses solutions innovantes qui offrent aux professionnels la possibilité de vivre une nouvelle évolution sur Internet: Radionomy comme diffuseur des spots audio sur le Web et Jamendo dans la gestion et la commercialisation des droits des artistes. » (http://p3trc.emv2.com/HM?a=ENX7CqkYkcf48SA9MKJLrs7nGHxKLM-NZvcStGb5lw8W0bBhOG5mpqVsje_Hhe-icVFB)
    Comme d’autres, j’ai commencé à me désinscrire progressivement de JamPRO et très bientôt totalement.
    Par respect pour mes fans et auditeurs, je laisserai mes albums sur la plateforme gratuit de Jamendo.
    Pour conclure, la cerise of the cake de tout ça, en plus du copinage avec Hadopi (qui pourtant est officieusement condamné. Ils ont le nez à Jamendo, y’a pas à dire, lol), c’est la fermeture pur et simple des boutique, mais sans basculer en gratuit le téléchargement en mp3-HQ. Autre découvert récente : pour recevoir des dons il faut obligatoirement être inscrit à JamPRO ! Un autre scandale (d’autant que c’était totalement différent au début).

  2. PhRey dit :

    Je bois du petit lait à chaque article ! merci ;o)
    Ce blog est-il toujours alimenté au fait ?

    (accessoirement, mon dernier petit coup de gueule sur Jamendo : http://www.jamendo.com/fr/forums/discussion/49049/tous-les-nouveaux-albums-sont-inaudibles/#Item_3 )

    Bonne continuation !

  3. Il est alimenté sporadiquement…

  4. jamendouille dit :

    Il y a deux ans, nous étions bien seuls à dénoncer les turpitudes de Jamendo. A présent que d’autres s’y sont mis, nos interventions sont moins nécessaires. Nous maintenons bien sûr que Jamendo n’est pas le « n°1 de la musique libre ». La musique libre est ailleurs, évidemment. Il existe d’autres plateformes (Dogmazic, RSR…) et chacun peut diffuser de la musique sous licence ouverte sur son propre site internet ou blog sans cautionner le n°0 de la musique moquette.

  5. chefgeorges dit :

    Mon analyse est que désormais Jamendo court même à sa propre perte économique. Le système de la vente lowcost de licences ultra-permissives vendues à des prix discount à des clients pour la plupart peu scrupuleux va forcément atterrir droit dans un mur (surtout dans la conjoncture actuelle).
    Le manque total de professionnalisme de Jamendo n’arnrage pas non plus leurs affaires. Les récents déboires de musiciens comme Fresh Body Shop le prouve (sa zik était vendue à des clients, qui eux même la rendaient 5 à 10 fois le prix d’achat, sans que FBS ne puisse rien toucher ni faire le moindre recourt. Contacter, Jamendo n’avait pas prévu le cas… c’est dire !)
    Si sur les forums français, espagnol et même italien de moins en moins de personnes sont dupes, il y a encore du boulot sur les forums anglais (j’avoue ne pas savoir où nos amis d’outre-Rhin en sont).
    Le GROS PROBLÈME, c’est que beaucoup d’artistes se disent : « Wouèh on est pas dupe de Jamendo, on voit bien ce qu’ils font avec JamPRO, mais nous on profite simplement d’eux, sans plus ». Et ça c’est sacrément difficile à combattre…