Le 14 mai 2009, Astrid Girardeau donnait la parole à Sylvain Zimmer, fondateur de Jamendo, sur le site ecrans.fr.
Une fois encore, les propos de notre brave « sylvinus » sont remplis de poésie innovante. « Jamendo PRO, un lien avec le projet de loi Création et Internet ? » demande la journaliste. Réponse :
Oui, il s’agit un peu de notre réponse à Hadopi. Avec Hadopi on a le sentiment que certains veulent diaboliser la toile. Mais on n’avait pas envie de critiquer sans apporter de solution. Jamendo Pro est une idée parmi les modèles économiques intelligents qu’il est possible de développer pour la musique. Et, par cette offre, on propose aux artistes, peut-être pas de gagner leur vie, mais au moins de toucher plus de revenus complémentaires.
Admirons la beauté de la dialectique sylvinesque. Jamendo Pro serait donc juste une « réponse » à Hadopi, un beau geste militant en faveur de la liberté, en somme, et certainement pas un projet mûri de longue date dans le business plan de Jamendo S.A. Amusant, non ?
Sylvain Zimmer admet au passage que Jamendo Pro ne permettra pas aux artistes de gagner leur vie (tant pis pour les rêveurs), mais certifie qu’ils pourront toucher « plus de revenus complémentaires ». Mais « plus » que quoi ? Car Jamendo Pro garde 50% des recettes, ce qui est nettement supérieur aux frais de fonctionnement prélevés par la SACEM, par exemple (environ 20%, d’après Zimmer lui-même). Quel humoriste, ce Sylvain !
Au sujet de la SACEM, Sylvain, décidément inspiré ajoute :
Mais la Sacem pose des problèmes notamment par sa répartition opaque des sommes collectées. On ne sait pas quels sont les critères de répartition. Reste qu’au final quelques artistes importants gagnent beaucoup, et les indépendants ne touchent presque rien.
Avec Jamendo Pro, les « indépendants » touchent effectivement un peu plus que rien, mais tout de même pas beaucoup plus, on dirait. Stouffi the Stouves, par exemple, s’étonnait le 5 juillet 2009 sur le forum de Jamendo qu’un de ses morceaux (sans qu’il sache d’ailleurs lequel) aie été vendu pour 2,50 € (sans qu’il sache à qui). Pas sûr que la « répartition opaque » de la SACEM fasse vraiment pire. Et à propos d’opacité, que dire de la communication de Jamendo, critiquée de façon récurrente sur le forum par les utilisateurs du site ?
Pour justifier le fait que Jamendo garde 50% des revenus, Sylvain Zimmer explique ensuite que Jamendo Pro fait plus de choses qu’une simple société de collecte.
Nous, on fait plusieurs métiers à la fois. Et c’est pour ça qu’on supprime les intermédiaires (diffuseurs, programmateurs, etc.)
Mais qu’est Jamendo Pro, sinon un intermédiaire parasitaire ? Les diffuseurs, programmeurs, éditeurs, etc. ont des compétences, font un travail de promotion, de sélection… Quelle est la ligne éditoriale de Jamendo Pro ? Quelle valeur ajoutée est apportée à la musique ? Qu’est-ce qui empêche un commerce intéressé par une musique diffusée sur Jamendo de contacter directement l’artiste pour lui proposer un deal, sans avoir à verser sa dîme à Jamendo Pro ? Ah ! oui, c’est vrai, l’utilisateur voit un gros bouton « acquérir une licence commerciale », alors il clique dessus et se retrouve ainsi dans les filets de Jamendo Pro, sans se douter qu’il aurait pu se passer de cet intermédiaire coûteux mais inutile en envoyant tout simplement un message à l’artiste.
Et Zimmer d’ajouter :
Notre avantage, contrairement à des sites tournés vers la musique commerciale, comme Deezer, c’est qu’on a à la fois une communauté énorme, et on propose des liens directs entre les artistes et les professionnels.
Un lien direct avec tout de même un léger détour vers le péage de Jamendo Pro, bien sûr.
Quand les gens achètent une licence musicale pour tel titre ou flux, ils savent que le ou les artistes les autorisent à faire tel usage de leur musique. Et ils ont l’assurance que ces artistes ne sont pas à la Sacem. Tous les artistes de Jamendo doivent attester qu’ils ne sont pas à la Sacem, et nous prévenir, dans un certain délai, si jamais ils y vont.
Le nez de notre brave Sylvain a dû s’allonger un peu lorsqu’il a affirmé cela, car nous avons démontré ici-même que l’auditeur ou l’acheteur n’ont en réalité aucune garantie que la musique présente sur Jamendo ne figure pas au catalogue de la SACEM. Voir notre article à ce sujet, ou plus récemment l’exemple de cet artiste sacémisé se plaignant de Jamendo sur le forum du site : sa musique a été masquée seulement après qu’il a refusé un deal proposé par Jamendo Pro. Et s’il avait accepté ?
Face à l’imminence de la mise en concurrence des sociétés de gestion des droits d’auteur (imposée par l’Europe), la pensée sylvinesque se montre une fois de plus fulgurante :
On regarde ça de près. On sait que ce n’est qu’une question de temps. A la Sacem, eux savent que c’est au-dessus de leur tête, et c’est à ça qu’ils pensent en allant se coucher.
Mais à quoi pense Sylvain Zimmer avant d’aller se coucher ? Peut-être à l’opportunité de faire ouvertement de la concurrence déloyale à la SACEM (en cassant les prix de diffusion au détriment des artistes) ? Mystère.
Concluons avec une dernière perle sylvinesque :
Notre but est de répondre à un besoin. On est conscient que certaines boutiques préfèreront toujours passer du Madonna plutôt que de la musique indépendante. Mais on se demande combien représente l’autre partie, et on sait en tout cas qu’elle n’est pas marginale.
Notons le concept de « musique indépendante » utilisé ici de façon « innovante ». On avait l’habitude d’opposer la musique commerciale ou « mainstream » produite à grand budget et destinée au plus large public à la musique « indé » produite généralement par de petits labels qui visaient la qualité ou la nouveauté plus que le succès interplanétaire. Dans les deux cas, ces musiques étaient sous le régime du copyright ou de la SACEM. Avec l’émergence de la musique libre, on a vu des autoproduits (dans tous les genres et avec tous les niveaux de qualité ou d’expérimentation) accéder à la diffusion. Mais aussi des artistes très produits, devenus tardivement indépendants de l’industrie du disque, tels le groupe Nine Inch Nails, qui diffuse à présent sous licence CC by-nc-sa. A ce titre, même Madonna, citée ici par Zimmer, pourrait parfaitement devenir « indé » et même se mettre à la libre diffusion. A l’inverse, des artistes confidentiels utilisent toujours les voies de diffusion traditionnelles.
Jamendo met de la musique en vrac à disposition de ses clients. En aucun cas cette entreprise ne joue le rôle de label « indé » au service d’artistes méconnus du grand public. Et les artistes qui adhèrent à Jamendo Pro se lient bel et bien à un intermédiaire qui prélèvera la moitié de leurs revenus sans avoir investi le moindre centime dans la production musicale. Ils perdent ainsi l’indépendance que leur donnait la musique libre, en se soumettant à un nouvel acteur économique encore moins scrupuleux que ceux de l’ancien système. Chapeau monsieur Zimmer !